C’est en 1934 que le quartier des Gratte-Ciel est inauguré à Villeurbanne. Un projet pharaonique lancé dès 1928 par le maire de l’époque Lazare Goujon. Il traversera bien des difficultés. Les Gratte-Ciel sont même très critiqués à l’époque. Les habitants n’hésitent pas à parler de « cages à lapins »… Aujourd’hui, le quartier est montré en exemple. Les 90 ans des Gratte-Ciel devraient permettre de mettre en valeur ce patrimoine et d’évoquer son avenir prometteur.
En cette année 2024, Villeurbanne fêtera les 90 ans des Gratte-Ciel. Un grand projet initié par un maire qui marquera l’histoire de la ville : Lazare Goujon, élu en 2024, il y a tout juste 100 ans.
Pour en savoir plus sur les Gratte-Ciel, nous avons rencontré Véronique Bonfils. Elle est guide conférencière et fait visiter régulièrement cet ensemble immobilier, novateur à l’époque de sa construction et toujours atypique 90 ans plus tard… Les Gratte-Ciel ont bien traversé leur siècle.
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À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, Villeurbanne connaît une croissance démographique extrêmement rapide.
De 5000 habitants en 1856, sa population passe à 42 000 en 1911 et atteint les 82 000 âmes en 1931. La ville voit la construction de grandes usines et doit prévoir les logements nécessaires à cette poussée démographique. Cabanes en bois et taudis insalubres se multiplient, favorisant la prolifération des maladies.
« Lazare Goujon est préoccupé par les questions d’hygiène et de maladie. Son action va viser à offrir aux ouvriers tout le confort moderne tout en créant pour Villeurbanne, un vrai centre-ville. Une manière d’affirmer l’identité de Villeurbanne ».
Élu maire en 1924, Lazare Goujon, qui est médecin, souhaite doter Villeurbanne d’un nouveau centre urbain pour « transformer la commune en une véritable ville, accueillante, laborieuse, exemplaire, saine et humaine ».
C’est ainsi que dès 1926, un Plan général d’extension et d’embellissement prévoit, d’importants travaux de voirie et d’urbanisation, les prémices d’un nouveau centre, regroupant à la fois des habitations et des équipements municipaux.
« Changer la ville pour changer la vie ».
À partir de 1928, les éléments du futur quartier prennent forme. Le premier bâtiment à voir le jour est le Palais du travail. Le jeune architecte Morice Leroux remporte le concours pour concevoir l’édifice dont la première pierre est posée le 20 mai 1928. Conçu comme un « véritable temple laïque, centre d’activité intellectuelle, artistique et morale, indispensable au développement de la cité, ainsi qu’à l’éducation intégrale de la classe ouvrière », le Palais du travail abrite d’abord, un dispensaire d’hygiène municipal. Puis, un dispensaire, une piscine, un théâtre ( qui deviendra le TNP), une brasserie et une maison du peuple.
Financé au départ par une association et des souscriptions, le projet est repris par ce qui deviendra l’une des premières sociétés d’économie mixte, la Société villeurbannaise d’urbanisme (SVU) fondée en 1931. Et toujours propriétaire des Gratte-Ciel en 2024. C’est la première fois que public et privé s’associent pour faire émerger un projet d’envergure.
La crise économique qui a débuté avec le krach boursier de 1929 freine le projet de centre-ville de Villeurbanne. Lazare Goujon étoffe, malgré tout, son projet. Il y ajoute un hôtel de ville et surtout près de 1500 logements qui prendront place sur le foncier libéré par le départ des bâtiments industriels de la C.A.M. (Compagnie d’Applications Mécaniques).
Un hôtel-de-ville et deux tours géantes de 19 étages
Deux ans après le début du chantier du Palais du travail, la municipalité lance le concours pour la réalisation de son nouvel hôtel de ville. Le projet de Robert Giroud, grand prix de Rome, est retenu en juillet 1930. L’édifice sera monumental, dominé par un beffroi de 65 mètres de haut.
Deux tours géantes de 19 étages et 60 mètres de haut encadrent l’entrée du nouveau centre. Dans leur continuité, quatre mégastructures composent l’avenue Henri-Barbusse. Deux autres longent la place Lazare-Goujon à l’ouest. La partie est sera abandonnée par manque de moyens. Ce qui donne encore aujourd’hui une allure asymétrique à la place aux fontaines.
« Les deux plus hautes tours constituent encore aujourd’hui le symbole de Villeurbanne. On les retrouve dans le logo de la ville. Leur configuration est un peu particulière. Les ascenseurs arrivent directement dans les appartements aux étages supérieurs. »
Des locaux commerciaux prennent place au pied de tous les immeubles. Ces immeubles qui se présentent sous forme de gradins en terrasse à partir du huitième étage.
« Morice Leroux voulait permettre aux habitants de se rencontrer. C’est pourquoi il a relié les allées par des coursives qui permettaient de trabouler dans les Gratte-Ciel. Au premier étage, il y a aussi des terrasses au niveau des commerces. A l’époque, les habitants avaient l’habitude de s’y retrouver pour manger ensemble. On retrouve cet esprit dans les nouveaux programmes de logements, mais ce sont davantage des potagers » explique Véronique Monfils.
Des gratte-ciel inspirés des constructions américaines
Quatre ans à peine se sont écoulés entre la conception et l’inauguration. Les architectes et ingénieurs se sont inspirés, non seulement de l’esthétique mais aussi des techniques de construction des gratte-ciel nord-américains. Les immeubles que l’on imagine en béton, ont été édifiés grâce à une structure métallique et à un remplissage de briques. Le tout enduit de ciment. Une technique assurant économie, rapidité d’exécution et solidité. « Au moment de la construction, les habitants pensaient que cette structure allait s’effondrer. 90 ans plus tard, les Gratte-Ciel sont toujours là » commente Véronique Bonfils ».
« Malgré les apparences, les 6 blocs ne sont pas identiques. Car il a fallu s’adapter au foncier disponible. La mairie n’avait pas les moyens d’exproprier » explique la guide-conférencière.
Les Gratte-Ciel, c’est 100% de logements sociaux. Ils répondent aux idéaux hygiénistes de l’époque. Petits pour leur majorité, tous les appartements bénéficient de l’eau courante, du gaz, de l’électricité, d’une salle de bain, et du tout à l’égout. Ils disposent de plus d’un vide-ordure, du chauffage central, de l’eau chaude et d’une cuisinière électrique.
« L’ombre de Tony Garnier plane sur les Gratte-Ciel »
« L’ombre de Tony Garnier plane sur les Gratte-Ciel. Il était d’ailleurs dans le jury pour pour le choix de l’architecte pour le Palais du Travail. Robert Giroud était aussi un proche de Tony Garnier. La différence c’est que Tony Garnier n’était pas favorable à une telle concentration de population. Aux Etats-Unis (Lyon 8ème), les immeubles sont moins hauts. Le point commun entre les deux quartiers, c’est la recherche de l’hygiène : un maximum d’ensoleillement, de nombreuses fenêtres… Pourtant, on parlera de cages à lapins au moment de la construction. Tout simplement, parce qu’à l’époque, on n’avait pas l’habitude de la verticalité. Les immeubles de l’époque font 4 ou 5 étages » fait remarquer Véronique Bonfils.
Aujourd’hui, subsiste encore un appartement témoin de cette époque. Il est possible de le visiter et de se plonger ainsi dans l’univers des années 30.
Les 90 ans des Gratte-Ciel : entre histoire et futur !
Villeurbanne aborde aujourd’hui une nouvelle page de son histoire avec le projet d’extension lancé par le maire Jean-Paul Bret en 2008. Il vise à doubler la surface du centre-ville pour la porter de sept à quatorze hectares. Il s’agit de prolonger l’avenue Henri-Barbusse au-delà du Cours Émile-Zola, doubler sa surface commerciale, ajouter 20 000 m2 d’équipements publics et 900 nouveaux logements.
Le nouveau chantier devrait s’étaler jusqu’à 2034. Ses promoteurs, dont l’actuel maire Cédric van Styvendael, espèrent une inauguration pour le centenaire des Gratte-Ciel.
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